Le grand public ne jure que par les AAA, ou les jeux ultra populaires. C’est un fait. Mais il existe un océan ô combien plus profond caché par ces titres qui ont la chance de profiter de gros investissements marketing la plupart du temps. Un océan de jeux indépendants, plus petits, plus intimes, mais non moins intéressants.
Au fil des années, certains titres et studios ont même réussi à s'ériger au rang d’incontournables. Certains mangeant parfois même les AAA de gros éditeurs au petit dej. Mais bien souvent, ce sont de petites pépites, planquées dans l’ombre des géants, ne satisfaisant qu’une niche ayant eu le nez assez fin pour les trouver. C’est dans cette étendue de softs que l’on qualifie souvent injustement de petits jeux que vous pouvez trouver Viewfinder. Un jeu indépendant novateur et passionné avec une vraie vision artistique signée SOS (Sad Owl Studios), un studio écossais.
Viewfinder vous absorbera dans son univers
Sorti de presque nulle part, à la suite de quelques essais sur Steam, Viewfinder s’offre une sortie PC et consoles (PS5) discrète. Et quel dommage tant le jeu a à raconter et à montrer. Viewfinder est un puzzle game aux premiers abords tout simple. On y incarne une personne sans nom ni visage que l’on campe en vue subjective. Une absence totale d’identité qui nous pousse par la force des choses à prendre place dans cette coquille vide qui nous servira d’avatar. Dès lors, l’unique protagoniste, une silhouette que l’on ne croisera qu’une fois derrière un panneau de verre, nous parle à nous, joueuses et joueurs derrière notre écran.
Viewfinder fait ici une manœuvre très intéressante qui va rapidement trouver son écho dans sa démarche et ses mécaniques de jeu. Tout est une question de point de vue.
Poussé par une narration découpée en des dizaines de journaux et autres témoignages mémoriels disséminés un peu partout sur notre chemin, Viewfinder cache un scénario intriguant rappelant parfois Inception de Christopher Nolan (Oppenheimer). Je ne dirai absolument rien d’autre concernant la trame narrative qui pourrait vous laisser entrevoir ses ficelles.
Court, mais fascinant
N’attendez pas de l’histoire de Viewfinder qu’elle vous embarque dans un tourbillon de rebondissements. La narration se fait ici en douceur, mais les thématiques, parfois moralisatrices, et l’ambiance qui se cramponnent à l’univers artistique surréaliste qui se déroule sous nos yeux suffisent assurément à vous embarquer. Viewfinder n’est pas bien long, bien que cela dépende assurément de votre capacité à résoudre les puzzles. Pour ma part, sans blocage, j’ai parcouru l’intégralité du contenu principal et secondaire en un peu moins de 6h.
C'est à la fois parfait et dommage. Il ne fallait pas qu’il soit plus long au risque de perdre le joueur et d’étirer son intrigue plus que de raison. Ce qui aurait eu pour effet de crever cette bulle dans laquelle nous sommes enfermés du début à la fin. Mais c’est aussi un vrai drame puisque Viewfinder est un vrai régale à parcourir, l’immersion est totale, on se laisse facilement prendre au jeu, et il arrive à nous solliciter de bout en bout.
Il chatouille notre curiosité avec son histoire et son univers, il nous captive avec ses élans artistiques savamment trouvés et il nous oblige à utiliser notre matière grise continuellement.
Un puzzle game très malin qui demande créativité et ingéniosité
Sur ce plan d’ailleurs, Viewfinder fait très fort. En se jouant principalement d’une seule et unique mécanique finalement, il arrive à se renouveler sans cesse et nous pousse à utiliser notre réflexion, notre créativité et notre ingéniosité. C’est plutôt fort puisque habituellement les puzzle games ne reposent que sur quelques mécaniques éculées et souvent très scientifiques, logiques. Viewfinder lui préfère innover et faire appel à d’autres parties de notre intellectuel. Et la réussite est totale.
Pas de mathématiques, de géométrie ou de logique. Ici c’est la créativité, l’ingéniosité et la capacité d'anticiper les mouvements de l’espace qui prime. La mécanique est simple. Le jeu nous permet de jouer avec les images et de les incruster dans le décor en temps réel, sans aucun effet, tout en se jouant des perspectives. Je vous l'ai dit plus haut, tout est une question de point de vue. Et par ailleurs, une partie du jeu utilisera avec une maestria hallucinatoire notre perception de la réalité en se jouant de nous avec des trompes l'œil totalement impossibles à prévoir. Le résultat ici aussi est fantastique. Le droit à l’erreur est par ailleurs possible. A tout moment, vous pouvez retourner en arrière en rembobinant nos actions.
Chaque tableau nous demande la même chose, fuir en empruntant un téléporteur. Bien plus simple à dire qu’à faire, il faudra se jouer de notre environnement pour s'en sortir. Comme souligné auparavant, la mécanique de jeu principale consiste à imprimer des images figées dans l'environnement afin de se créer des passages en trois dimensions. L’image est ainsi utilisée sous toutes ses formes dans Viewfinder. Tout est encore et toujours une question de point de vue.
Tout est question de point de vue
Du nôtre, avec des énigmes basées sur la formation d’images ou de silhouettes à même le décor, celui de l’artiste en traversant une peinture, un dessin, un jeu vidéo… ou encore celui du photographe, celui qui deviendra même une véritable arme. Ce point de vue est peut-être le plus important de tous puisque le seul et unique outil que l’on se trimballe est un surpuissant Polaroid. Avec ce simple objet, les développeurs nous donnent le pouvoir presque divin de déformer l’espace à notre volonté. Pour le plier à nos désirs et nos besoins d’un simple flash d'appareil photo. On mémorise ce que l’on veut, comme n’importe quel photographe, puis on se sert des photos pour transformer instantanément le monde qui nous entoure, en temps réel, sans aucun effet. Il suffit de superposer la photographie avec l’environnement là où on le souhaite. On confirme ensuite d’un clin d'œil et la photo s’échappe de son support pour se greffer au monde en prenant en compte les perspectives selon notre point de vue.
Difficile à expliquer, mais assurément fascinant à voir et à expérimenter. Il devient alors possible de créer de véritables chaos artistiques en déstructurant tout ce qui nous entoure. Viewfinder est en effet une véritable ode à l’art visuel sous presque toutes ses formes. Du dessin d’un enfant à la toile de l’artiste en passant même par le jeu vidéo lui-même. La direction artistique paraît simple au premier abord. Mais lorsque l’on voit ce que l’on peut créer, sans même le vouloir, ça prend rapidement une toute autre dimension. Dans tous les sens du terme d'ailleurs.
Une véritable petite pépite
Oui, je ne manque pas d’éloges, mais rares sont les jeux qui arrivent à rendre cohérente l’intégralité de leur expérience. Dans Viewfinder, dans la mesure où l’incohérence est une antagoniste bien tangible, tout est forcément cohérent, et ce de manière tout aussi explicite qu’implicite. On apprend en découvrant par nous-mêmes le fonctionnement de cet étrange univers, ou en s'intéressant à ce que cachent les environnements. Les traces du passé bien visibles de personnages dont on ne sait rien et dont on ne saura finalement rien, sont pourtant très importantes pour la compréhension à la fois du présent, du passé mais aussi de l’avenir. Chaque note, journal, tableau, peut être un indice.
En plus de la trame principale, il existe des épreuves secondaires autrement un peu plus compliquées à aborder. Il sera aussi possible de récolter des objets à collectionner un peu partout dans les niveaux. Ces derniers sont d'ailleurs souvent très bien cachés, qui vous obligeront à explorer. C’est assez drôle d’ailleurs de parler d’exploration dans la mesure où chaque niveau est finalement assez petit au premier abord. Mais lorsque l’on se souvient que l’on peut capturer une image et en changer la perspective, le point de vue… les possibilités deviennent tout de suite plus importantes.
Mais Viewfinder n’est pas pour autant parfait et malheureusement quelques couacs techniques, comme des problèmes de textures ou des effets de collision pas franchement réussis lorsque l’on s’amuse trop à superposer les images, peuvent survenir et nous rappeler que même les plus beaux concepts ont leur limite. D’un autre côté, ces bugs résultent souvent du chaos et du désordre que l’on créera nous-mêmes, les voyageurs qui n’ont strictement rien à faire là et qui sont prêts à tout sacrifier et détruire pour arriver à leurs fins. Toutefois, là encore, c’est une question de point de vue.